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Qui êtes-vous Lucie Picandet ?

À l’occasion de Drawing Now, le salon du dessin contemporain, est décerné le prix du même nom qui récompense un jeune dessinateur. Cette année, c’est Lucie Picandet, dont la Collection possède une œuvre, "Œil-de-bœuf « Aux glaces » – Paysages intérieurs d’Hui 7", du projet "Celui que je suis", qui l’a remporté. Pour l’occasion, on a cherché à savoir de quoi est fait l’univers onirique et protéiforme de l’artiste... Entretien.

 

 

Vous souvenez-vous de votre rencontre avec l’art ?

À 16 ans, j’ai commencé à écrire : je séchais les cours pour pouvoir écrire toute la journée dans des cafés. C’était un mélange de croquis et de textes. Obnubilée par les sonorités, je travaillais beaucoup en alexandrins, en sizains ; j’écrivais des poèmes sursaturés de correspondances sonores qui devenaient très abstraits. Je suis revenue à l’image par la suite aux Beaux-Arts, quand j’ai voulu mettre en images une nouvelle que j’avais écrite en vers. 

 

Vous utilisez la peinture, la broderie, le dessin, le texte… Comment tous ces médias s’articulent-ils dans votre pratique ?

L’un fait avancer l’autre : le travail de poésie et de fiction demande ensuite à être mis en image, puis l’image va dépasser le texte, etc., en crescendo. J’ai du mal à montrer mes textes : j’écris dans une langue inventée, ce qui créé une rupture avec le langage comme lien social, et donc peut susciter le malaise ou le rejet. Alors je fais exister ces textes à travers mon travail plastique. J’utilise aussi la broderie qui est pour moi une manière de dessiner et d’écrire en même temps.    

 

Pouvez-vous nous parler de Ce que je suis, projet sur lequel vous travaillez depuis des années ?

Celui que je suis rassemble tout mon travail depuis mes études. C’est un projet que j’ai amorcé à une période où j’avais des sensations particulières, presque prémonitoires. En août 2005, aux Puces, je suis tombée une carte postale ancienne qui m’a donné une très forte impression de déjà-vécu. C’était une photographie un peu bancale d’un château où tous les éléments étaient étrangement cadrés, ce qui m’a fascinée. J’ai retrouvé le château de la carte, je suis allée physiquement sur les lieux, j’ai repris la photo, mais je ne suis pas parvenue à retrouver l’origine de ma réaction, le souvenir initial... Elle demeure inexplicable. Cette découverte a été un renversement où le corps – que j’associe étroitement à l’inconscient – a pris le pas sur la conscience en percevant avant elle une information du monde extérieur. Ce renversement-là, c’est justement ce que j’essaie de décrire dans mes Paysages intérieurs.    

 

La mémoire est une thématique centrale dans votre travail. Comment l’abordez-vous ?

Les phénomènes de réminiscence, de mémoire involontaire me passionnent : dans mes fictions et mes œuvres plastiques, j’essaie de rendre spatiaux mémoire et psychisme, d’en faire de la matière, un espace, un endroit dans lequel on peut se déplacer et que l’on peut modifier. J’ai beaucoup travaillé sur l’art de la mémoire, les palais de la mémoire. Dans l’Antiquité grecque, on servait de palais mentaux pour apprendre les actes d’un procès par cœur, par exemple. À la Renaissance, c’est devenu un art divinatoire, car la mémoire, c’est aussi le futur. Elle sert au souvenir comme à l’oubli, deux techniques que l’on peut utiliser de manière volontaire. Aborder cette problématique de la mémoire me permet aussi de questionner le statut de l’identité : on se fabrique soi-même, on fabrique notre identité comme on fabrique nos souvenirs. 

 

À voir > À Drawing Now au Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller 75003 Paris, du 28 au 31 mars, du jeudi au samedi de 11h à 20h et le dimanche de 11h à 19h

 

https://www.drawingnowartfair.com/

 

Exposition Ladies Only à la galerie Vallois, 33 rue de Seine 75006 Paris, du 22 février au 12 avril, du mardi au samedi de 10h à 13h et de 14h à 19h

 

http://www.galerie-vallois.com/exposition/ladies-only/

 

Visuel : Lucie Picandet, Courtesy artiste et Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois Paris