Mathieu Pernot importe la prison de la Santé au Centquatre
Avec La Santé, à voir au Centquatre jusqu’au 6 janvier prochain, l’artiste Mathieu Pernot, dont la Collection possède un tirage, livre le fruit de son travail autour de la célèbre maison d’arrêt sous la forme d’une exposition concise et puissante. Visite.
Saviez-vous que la prison de la Santé, construite en 1867 dans le 14e arrondissement de Paris, était fermée pour travaux depuis quatre ans et qu’elle s’apprêtait à accueillir de nouveau des détenus cet hiver ? Le photographe Mathieu Pernot y a d’emblée vu le lieu d’une exploration documentaire au long cours. Poussé par la volonté de comprendre comment la prison pouvait produire des formes et des idées qui lui étaient propres, l’artiste s’est rendu à la Santé à plusieurs reprises. Au printemps 2015, alors que les derniers prisonniers venaient de quitter les lieux, puis à l’automne de la même année, quand le coup d’envoi du chantier fut donné.
Au Centquatre, tout commence avec un face-à-face abrupt : le seuil de l’expo franchi, d’imposantes photographies de coursives se chargent de nous plonger dans l’univers carcéral. Un univers fouillé dans la vidéo voisine où l’on suit Mathieu Pernot à travers les bâtiments de la Santé tout juste vidés. On y voit notamment l’artiste entrer dans des cellules pour y prélever documents et images laissés par les détenus. De ces portes ouvertes une à une sur ces pièces désertées mais encore habitées, émergent alors l’image et l’idée, puissantes, de l’enfermement.
La suite du parcours nous fait pénétrer plus avant dans la vidéo… ou dans la Santé. Séparées par des marquages au sol symbolisant des cloisons, les images prélevées dans les différentes cellules se trouvent exposées sur les murs. Du fou de grosses cylindrées au féru de peinture du XVIIIe siècle en passant par le passionné de montres, celles-ci dessinent le portrait en creux de ceux qui les choisirent pour horizon. Au centre de la salle, une autre installation rassemble des cartes du monde, de pays ou de villes. Annotées, déchirées ou trouées nettement pour ne pas obturer l’œilleton d’une porte, elles disent tout autant la violence de la surveillance que la possibilité, pour le prisonnier, de regarder le monde par le trou de sa lorgnette.
Après avoir longé une cimaise sur laquelle ont été reproduites différentes inscriptions – cris de haine ou d’amour – provenant de la Santé, on débouche sur la dernière salle de l’exposition. Des peintures sur bois mêlant références à des tableaux célèbres, calligraphie arabe et iconographie chrétienne, réalisées par des prisonniers dans le cadre d’un atelier, sont accrochées de manière à nous surplomber. Suturées en divers endroits, elles ont été réparées par Mathieu Pernot après avoir été brisées durant le chantier. La progression de ce dernier se trouve d’ailleurs illustrée par des photographies disposées de part et d’autre à hauteur d’yeux. Vomissant ses entrailles, la Santé y laisse éclater au grand jour ce qu’elle tenait jusqu’alors caché.
Ce va-et-vient entre intérieur et extérieur, doublé d’un va-et-vient entre présence et absence, visibilité et invisibilité, est sensible tout au long du parcours. Un mouvement de balancier permanent qui nous livre une image inédite de la vie carcérale en même temps qu’il laisse entrevoir le monde observé depuis la prison. Une passionnante remise à niveau des regards.
Aurélie Laurière
Visuels : La Santé, 2015 © Mathieu Pernot
À voir > au Centquatre, 5 rue Curial, Paris 19e. Jusqu’au 6 janvier 2019, du mercredi au dimanche de 14h à 19h.